Notre co-fondatrice Séverine est intervenue lors de la Conférence-débat inaugurale des Ecogames Paris  ce 5 juin 2018 organisée par Didier Lehenaff à la Mairie du 10ème arrondissement de Paris dans le cadre de la Journée Mondiale de l'Environnement.

"Tous Egaux": comment le sport peut-il contribuer à une certaine équité sociale et environnementale aujourd'hui? c'est la question à laquelle elle a tenté de répondre, rappelant que face au désastre écologique qui se prépare, nous sommes plus égaux - et vulnérables - que nous le croyons, mais aussi que l'éducation environnementale - et souvent la préservation de l'eau - restent souvent des problématiques féminines. 

Portrait de Séverine Vasselin, la Sup Addict cofondatrice de l'association Watertrek, par Stéphane Hocquighem, journaliste et créateur du blog SUP Passion.

https://sup-passion.com/portrait-severine-vasselin-sup-addict-watertrek/

 

Isabelle Poitou est biologiste marine et l’une des premières scientifiques françaises à avoir abordé la problématique des déchets marins comme un sujet d’étude à part entière. Auteur du livre « Une mer propre, mission impossible ? » avec François Galgani et Laurent Colasse, elle a créé l’association Mer/Terre afin de contribuer à la réduction des déchets en mer. Elle vit à Marseille où nous l’avons rencontré, elle nous parle de sa passion & son travail.

D’où vous vient cette passion pour la mer ?

Je suis née en banlieue parisienne, mais j’ai passé toute mon enfance dans les eaux bretonnes. Mon papa faisait de la voile, j’ai commencé à naviguer très jeune, je me baignais constamment et j’ai su très tôt que je consacrerai ma carrière au monde marin, c’était une évidence.

Comment en êtes-vous arrivée à vous intéresser à la problématique des déchets ? c’est un sujet dont on commence à peine à parler.

C’est la mer qui me l’a suggérée. J’étais étudiante à Marseille après un DEA en biologie marine, j’ai enchaîné sur les sciences sociales en aménagement et urbanisme, je cherchais un sujet de thèse qui serait pertinent. Au delà des recherches purement animales que j’avais déjà menées, je ressentais le besoin d’ajouter une dimension sociale à mes travaux, de bâtir des ponts entre vie humaine et vie marine. Sur les conseils d’un de mes enseignants, je suis partie me ressourcer au bord de l’eau, espérant y trouver l’inspiration. C’est en observant des déchets flottants sur une plage proche du quartier du Panier à Marseille que j’ai commencé à m’interroger. Ils s’accumulaient toujours aux mêmes endroits. S’agissait-il d’une pollution ? Les déchets étaient-ils une dégradation environnementale ? étaient-ils une menace à la biodiversité ? est-ce qu’on avait des données, des quantités ? J’avais trouvé mon sujet de thèse, mais aussi tout ce qui allait donner du sens à ma carrière par la suite.

Comment a évolué votre recherche ?

La première chose que j’ai constatée, c’est que nous ne disposions d’aucune donnée et d’aucune statistique sur la question, tant qualitative que quantitative. Tout était à faire. A l’époque, vers la fin des années 90, aucune institution n’avait encore planché sur le sujet des macro-déchets, il n’y avait pas de politique sur la question. Le naufrage de l’Amoco Cadix avait amené l’état français à créer une association - le CEDRE - censée organiser la « lutte à terre contre les pollutions de type accidentelle ». Mais il n’y avait pas encore de véritable réflexion en amont sur la gestion publique des déchets. C’est François Galgani qui a été le premier à réfléchir à un véritable recensement & qui a caractérisé les déchets sur les grands fonds. Cela a permis de commencer à alerter les medias et le grand public.

Les choses ont continué à évoluer sous l’influence de certains pays membres de l’Europe. La convention OSPAR - pour Paris-Oslo - est la première à avoir proposé un protocole en 2006. Ce premier travail a débouché sur la directive européenne « Stratégies pour le milieu marin » en 2008. Ce fut le début d’une pensée globale.

De mon coté, dans le cadre de mes travaux de recherche, j’ai commencé à me rapprocher des collectivités locales dans l’espoir de rassembler des chiffres. J’ai mené des enquêtes sur 37 communes de la région PACA, Monaco et 2 communes italiennes & j’ai travaillé avec les services techniques pour mes estimations. A l’époque, je travaillais au sein du CEDRE hébergé au centre Ifremer de Toulon, j’avais bien avancé sur la création d’un protocole de recensement local : 5 communes me transmettaient quotidiennement des évaluations que je pouvais corréler à la météo. Ces données se sont avérées extrêmement puissantes ! Elles m’ont permis d’établir une lecture assez claire du déplacement des déchets : pour majorité ils provenaient des bassins versants et s’orientaient vers la mer. A partir de là, la possibilité d’agir & de proposer des solutions politiques est apparue. C’est aussi à ce moment là que j’ai décidé de créer mon association TERRE/MER pour transmettre ce savoir.

Comment est-ce que votre travail a été reçu ?

Pas toujours très bien. J’ai senti souvent des résistances très fortes - d’ordre d’émotionnel - de la part de certains de mes interlocuteurs institutionnels. Le paradis est associé à la plage - on parle de plages paradisiaques, on part en vacances au bord de l’eau. Le déchet a une connotation négative. Saint-Augustin aurait eu l’idée de la notion d’enfer en regardant la décharge publique de Jérusalem Géhenne. Si on va encore plus loin dans l’analyse, la mer représente l’inconscient. Aller chercher les déchets, c’est mettre à jour une part d’ombre que la société ne veut pas forcément voir. Si l’objectif final est d’en faire quelque chose de positif, plonger dans cet univers est terrorisant.

Souvenez-vous de cette image très forte qui a illustré une campagne de sensibilisation de la Fondation Surfrider : on y voit une petite fille soulever la mer comme un drap pour regarder ce qui se cache en dessous. Le déchet est tabou, sale, on préfère l’ignorer. D’où les réactions parfois véhémentes des personnes que j’ai interpellées dans l’espoir d’une réflexion globale, collective et sociale du sujet. L’océan a une indigestion, il vient « vomir » ses déchets sur les plages. Il renvoit les déchets que l’homme ne veut pas voir. C’est très pédagogique mais dérangeant.

Est-ce que vous constatez une amélioration de la situation environementale ? ou est-ce pire que par le passé ?

Il y a une véritable amélioration. Il y a 40 ans, les stations d’épuration n’existaient pas. Nous avons fait beaucoup de progrès ces 40 dernières années. Mais il y a conjointement une force qui nous pousse à produire inutilement. Sous prétexte de créer de l’emploi et de générer de la richesse, on surproduit, on fabrique tout et n’importe quoi. Le plein-emploi justifie toutes les dérives productives, jusqu’aux extrêmes délétères représentés par Monsantos. L’abrutissement généralisé encouragé par certains médias & le mauvais usage de leur pouvoir n’arrangent rien.

La nature porte en elle une capacité d’auto-régénération très forte. Nous n’avons pas inventé le recyclage, nous n’avons fait que lui emprunter cette formidable aptitude à se renouveler. Le pétrole par exemple est issu de la putréfaction des algues. C’est une source d’énergie formidable, qui sait se régénérer. Mais l’homme, avec le pétrole, a réussi à fabriquer le plastique, qui lui est imputrescible, et ne se renouvelle pas ! A partir de matières vivantes, évolutives et recyclables, nous avons fabriqué notre propre blocage du cycle !

Je suis toujours surprise de constater que nous nous inspirons peu de ce que la nature a d’exemplaire et de ce qu’elle peut nous apprendre. L’humanité est un écosystème. Pourquoi ne l’étudie-t’on pas comme tel ? Pourquoi ne pas observer le fonctionnement des écosystèmes naturels et s’inspirer de leur équilibre pour concevoir de nouveaux modèles sociaux ?

Quelles sont les nouvelles priorités ?

Mon nouveau cheval de bataille, c’est de faire en sorte que les industriels informent sur les conséquences des déchets. De la même façon qu’il est écrit sur les paquets de cigarette que « fumer tue », il serait judicieux de mentionner ce qui se produit quand on jette un mégot dans l’eau, par exemple. J’espère travailler de plus en plus avec les multinationales, avec les producteurs.

Il faut également que les politiques de l’eau - qui sont gérées par les agences - et les politiques des déchets s’intègrent et avancent ensembles.

Quel est votre souvenir aquatique le plus fort ?

Une véritable expérience mystique : j’avais 20 ans et j’étais en voyage au Sénégal. Après avoir fait un footing et rencontré un marabout en soirée, je suis allée me baigner seule avec un masque. C’est là que j’ai découvert le plancton fluorescent…J’ai cru que j’étais devenue dingue ! Il y avait les étoiles en haut dans le ciel, et puis ces étoiles en bas dans l’eau ! Je n’avais plus de repère, j’étais dans le cosmos. Ce fut une expérience hallucinante qui a profondément ancré ma relation à la mer.  Depuis, je saisis chaque occasion de me baigner de nuit avec un masque.

Qu’est-ce que la mer vous apporte ?

Je me souviens de ma première plongée. C’était en Méditerranée, moi qui avait tant nagé en Bretagne. Je me suis sentie comme dans un berceau. Non, je n’ai jamais fait de paddle, mais je nage beaucoup, je ressens un besoin très fort d’être dans l’eau. C’est une source de joie profonde, une connection avec l’immensité, la beauté. J’ai l’impression de rentrer dans une autre dimension, je suis en apesanteur, je me sens un harmonie et en confiance. Je me suis retrouvée à plusieurs reprises dans des postures très dangereuses, mais à chaque fois, l’eau m’a portée.

Qu’est-ce que vous avez envie de dire aux générations futures ?

Gardez la foi. Ayez le courage d’être conscients et responsables. Utilisez votre intelligence !

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